[Accepté] Cendrevent

Il y avait encore dans l'air cette arrière-odeur particulière de tension exaltée après l'action. Comme toujours. Depuis neuf années. C'avait été bref, tendu par la chaleur qu'exhalait naturellement le corps de ses semblables, il ne s'était pas posé de question et y était allé directement, sans faire plus de mouvements que nécessaire.
Si auparavant il en éprouvait un plaisir excitant, le côté lassant de la répétition du geste l'avait blasé au point d'en arriver à la conclusion qu'il devait se trouver une position plus confortable, quitte à passer pour quelqu'un de précoce. Et cela devenait une nécessité de plus en plus absolue tant le nombre de partenaires croissait chaque année à une vitesse alarmante. Tout le monde s'y laissait prendre un jour ou l'autre. Cela résolvait tellement facilement les soucis du quotidien. Seul, c'était plus dur. Mais avec des partenaires adéquats, l'on avait bien plus de possibilités, même s'il fallait alors se partager la semence de son dur labeur.

Au final, ce n'était qu'une forme de soulagement.

Oui, soulager des vies. Telle était l'existence qu'il menait. Signer le contrat, chercher, avancer, tuer, récupérer le gain. En un mot, traquer. Vivre de la mort des autres. Sur le fond, cela ne l'avait jamais dérangé. Comme quelques uns dans le vaste monde des Douze, il se posait peu de questions et divisait ce monde en deux catégories : les dominants et les dominés. C'était peu de choses, une philosophie très puérile, mais cela lui suffisait pour justifier sa vie face à celle des autres. Malheureusement, ce "quelques uns" s'était mué avec le temps en "presque tout le monde" et c'était désormais "trop", pour lui. La routine du meurtre ne lui plaisait plus. Il voulait se ranger.

L'étreinte du combat n'avait duré que quelque secondes, mais cette fois-ci, il n'avait pas été assez vif. Sa perception, ses réflexes, son odorat, tous s'étaient altérés. Si trois corps étaient étendus au sol, il savait qu'aujourd'hui serait différent. Il ne s'esquiverait plus au soleil couchant, bondissant tel le félin qu'il était. Cette fois-ci, le crépuscule n'annoncerait plus seulement la mort de ses adversaires.

C'est dans la mort, paraît-il, que la vérité se fait jour.
Sa tête l'élançait douloureusement, mais tout était encore étrangement clair pour lui. Il aurait dû s'y prendre plus tôt.
Avec le temps, il s'était fait des rivaux, des ennemis.
Presque tout le monde en fait.
Trop.

Et aujourd'hui, il en payait le prix.
La semence de son dur labeur.

Des souvenirs rejaillissaient dans son esprit.
Une plage de sable chaud. Les kidos piailleurs. Un crustocorail aux airs libertins. Un "krousty" comme il les surnommait. Il l'obsédait, ce krousty.
Le goût cuivré du sang.
Il avait presque l'air intelligent, ce crustacé. Solitaire de nature, pour autant, il aimait faire parler dans sa tête les objets inanimés ou les créatures de taille réduite qui défilaient sous ses yeux.
"Bonjour, jeune écaflip. Qui es-tu ?
- Je n'ai pas de nom. Personne ne m'en n'a jamais donné. Et je me demande ce que je vais faire de ta misérable vie.
- Je suis trop dur pour toi, quel intérêt ?
- Le plaisir de tuer, aussi vil qu'il soit."
Le sol si froid
"- Tu es bien cruel ._.
- La cruauté est le propre de tout personne dotée d'une conscience suffisamment élevée. On peut la renier. C'est inutile."

Une fois, c'étaient ses dagues qui s'étaient imposées à sa pensée.

"- Bonjour, l'ami tueur. Qui es-tu ?
- Je n'ai pas de nom. Personne ne m'en n'a jamais donné. Et je m'apprête à tuer par ton intermédiaire, alors ne me fait pas défaut."
La cendre sur ce sol si froid qui s'éparpille lentement.
"- Ne t'inquiètes pas, avec moi, un seul coup suffit.
- C'est ridicule, je parle à mes propres dagues pour me rassurer."
Qui s'éparpille au gré du vent...
"- Eh, il y en a qui se mettent à plusieurs pour effectuer un contrat. Toi, tu es seul.
- Oui, je suis seul. Trop seul. Je dois m'arrêter.
Qui s'éparpille au gré du vent...
.
Tant de souvenirs.
C'était tellement vain.

Et là, adossé contre le mur, il n'y avait personne à qui parler, ou même faire semblant.

« Je m'appelle Cendrevent. Et je suis mort. »